dix-huit mois de recherche-action au sein d’une résidence sociale, artistique et temporaire à Strasbourg

04 ¦ 2019
Hospitalités

« Qu’est-ce qu’il se passe à la clinique ? » : chroniques de la place du marché du Neudorf

04 ¦ 2019 · Hospitalités Et l'accueil du quartier ?
En questionnement Ce que les voisins connaissent et pensent du projet au début de celui-ci
Illustration Office de l’hospitalité – place du marché, mars 2019
Auteur·e·s Kevin

 Depuis le début du projet Odylus, l’équipe d’Horizome a considéré que la question de la relation avec le quartier du Neudorf – où le projet devait s’insérer – était essentielle, notamment pour ce qui concerne le lien avec les habitant·e·s et pour l’intégration dans le tissu urbain des personnes accompagnées.
Dans ce sens, un projet appelé « Office de l’hospitalité » et porté par Horizome et Perrine Jugé, étudiante en design, a été mené dans le premier trimestre 2019, afin de préparer avec les habitant·e·s l’accueil des nouveaux arrivant·e·s sur le quartier.
En tant que chercheur bénévole, j’ai conduit une série d’entretiens avec des Neudorfois·e·s lors de rencontres informelles sur la place du marché, à quelques pas de l’ancienne clinique, base de l’Odylus. Les entretiens se sont déroulés lors de quatre matinées différentes entre avril et septembre 2019.
Ces rencontres ont été menées pour avoir une idée de l’image que les voisin·e·s de l’Odylus avaient du projet. Je ne peux pas proposer ici une analyse structurée et précise de cette représentation, car les données ne le permettent pas : cette recherche n’a jamais eu de vocation académique, l’objectif principal étant de trouver des pistes de connexion pour développer le rapport avec le voisinage, grâce aux entretiens ainsi qu’à d’autres actions.
Notamment, on cherchait à savoir comment inclure les voisin·e·s dans le projet, comment leur expliquer le projet, et on essayait de trouver les points de contact entre l’intérieur et l’extérieur de l’ex-clinique.
Sans rentrer dans les détails, ce texte proposera donc un petit parcours thématique, en reportant des phrases extraites des entretiens à partir de deux grands aspects : le changement urbain et l’habitat intercalaire. Carte du quartier  Je fournirai d’abord quelques informations importantes pour contextualiser cette petite série d’entretiens. J’ai rencontré quatorze personnes sur la place du marché. Après m’être présenté, je leur ai posé une première question, pour comprendre ce qu’ils connaissaient du projet d’hébergement qui avait lieu dans l’ex-clinique Sainte-Odile.
À partir de là, sans une véritable grille d’entretien, j’ai essayé d’approfondir leur point de vue général, tout en expliquant le projet et en le présentant au travers de quelques données objectives : associations concernées, nombre de personnes accueillies, durée du projet, financeur·se·s.
Les entretiens étaient en moyenne très courts : entre cinq et quinze minutes selon les cas. Toutes les personnes rencontrées habitaient dans le secteur nord du Neudorf. Deux d’entre elles avaient 22 ans, et étaient étudiantes à l’université. Six avaient entre 30 et 45 ans et travaillaient sur l’Eurométropole dans différents domaines. Le restant était à la retraite. Environ la moitié des personnes n’était pas originaire du quartier.  Neudorf, un quartier qui change (trop ?)
 « Très sincèrement, au Neudorf, on ne comprend plus grand-chose aux travaux… On n’arrive plus à suivre! Trop de travaux partout, et le quartier maintenant c’est autre chose […] les gens veulent vraiment habiter ici… plus qu’avant, il y a des magasins, des bars pour boire des coups, on ne doit plus aller au centre-ville pour sortir. […] Les prix flambent par ici ! »
→ actif, 36 ans, habite au Neudorf depuis dix ans.
 Le premier élément qui ressort de cette série d’entretiens c’est la centralité de la dimension du changement urbain, autour de l’aire de la clinique et du quartier du Neudorf. En effet, toutes les personnes qui ont répondu à ma première question, qu’elles soient au courant ou pas du projet d’hébergement, ont parlé des travaux à la clinique comme exemple du changement urbain du quartier.
Les habitant·e·s parlent de ce changement de deux façons : en premier lieu ils font référence aux nombreux travaux de réaménagement sur le secteur de l’ex-clinique, mais aussi dans les environs et plus généralement dans le quartier. Ce changement existe effectivement depuis une dizaine d’années grâce à différents programmes d’aménagements urbains, que ce soit sur la place du marché, avec les travaux pour le Scala et la médiathèque, mais aussi aux alentours – par exemple, l’aménagement de la presqu’ile Malraux.  « Ah oui, la clinique ! Ils sont en train de construire là, ça a commencé ! Des appartements haut standing ! […] De toute façon on est habitués ici, vous savez, tout change ici, c’est un quartier en changement… depuis dix ans au moins ! […] Je suis ici depuis trente ans, et vous voyez, cette place a changé, la rue ici [route du Polygone], ils ont fait la médiathèque, tout la place ici, il y a… huit ans c’est ça ! […] C’est la même chose un peu plus loin, Malraux, le gros Leclerc, tout ça […] »
→ retraitée, 70 ans, habite au Neudorf depuis trente ans.
 Pour ce qui concerne les alentours de l’ex-clinique Sainte-Odile, les habitant·e·s rencontré·e·s émettent des doutes sur la reconfiguration dans un futur proche de cette partie du Neudorf : la clinique était identifiée comme un point de repère, non seulement en tant que symbole urbain, mais aussi pour vocation même de du quartier. C’est toute une mémoire collective qui est mise en cause par ce changement : la clinique, en place depuis cent ans, a joué un rôle fondamental dans la structuration même du quartier et de ses commerces.  « Ici c’était tous des kinés [en indiquant un bâtiment, rue Rathgeber]. Je ne sais pas s’ils restent, eux. »
→ retraitée, 70 ans, habite au Neudorf depuis trente ans.
 Toutes les personnes rencontrées, sauf les deux jeunes étudiantes, ont en effet souligné que la fermeture de la Clinique a porté plusieurs cabinets médicaux des environs à se déplacer, en laissant des lieux vides, qui attendent une nouvelle fonction.
Le deuxième type de changement qui est identifié par les habitant·e·s rencontré·e·s est celui de l’embourgeoisement et de la gentrification du quartier, qui est particulièrement flagrant avec le projet immobilier de l’ex-clinique. Dans les entretiens, on retrouve plusieurs fois l’idée – et la crainte pour certains – que les prix de l’immobilier puissent grimper dans le Neudorf.
Le contraste entre le projet immobilier de l’ex-clinique et le passé populaire du quartier est évoqué par un couple trentenaire, fraichement arrivé, mais habitant à Strasbourg depuis environ cinq ans :  « Ce qui est marrant c’est la… le paradoxe quoi… C’est que le Neudorf, ici avant c’était le quartier plutôt modeste, ouvrier. Après du coup… dernièrement… ce sont des gens comme nous, des jeunes qui arrivaient, des couples, parce que les prix étaient bas. Mais maintenant avec ce genre de bâtiments ultra haut de gamme ça risque de devenir autre chose […] »
→ active, 32 ans, avec son conjoint habite le quartier depuis un an.
Flou et doutes autour de l’Odylus : vous avez dit intercalaire ?
 Quatre des personnes interviewées seulement étaient au courant en ce qui concerne l’Odylus en tant que projet d’habitat intercalaire : elles en avaient entendu parler lors d’une réunion associative et/ou au travers des prospectus envoyés par la ville.  « Oui, j’ai entendu parler de la résidence pour les migrants, c’est ça ? Si j’ai bien compris ils vont donner des chambres aux familles migrantes qui (n)’ont pas de logement. »
→ étudiante, 22 ans, habite le quartier depuis un an et demi.
En revanche, ces quatre personnes n’étaient pas au courant des détails du projet, notamment pour ce qui concerne ses temporalités. Après avoir présenté le projet aux personnes interviewées, j’ai été surpris par les perplexités à propos du caractère temporaire de l’hébergement, qui ont émergé de manière récurrente : en plus de questions plutôt techniques sur le fonctionnement d’un lieu intercalaire – par exemple Comment ces personnes sont-elles choisies ? – les avis que j’ai pu recueillir sur la question de la positivité ou négativité du caractère temporaire du projet sont très partagés.  « Je me suis demandé d’ailleurs ce qu’ils vont faire de ces gens après… Enfin ils restent ? Ils construisent un… un logement permanent pour eux ? Ou c’est juste pour l’instant ? »
→ actif, 31 ans, habite le quartier avec sa conjointe depuis un an.
Les projets d’habitat intercalaire ne sont pas courants ni particulièrement médiatisés, et ne sont pas mis en œuvre régulièrement à Strasbourg : plusieurs habitant·e·s du quartier m’ont donc interrogé sur son objectif à long terme.
En effet, même si plusieurs personnes ont souligné la positivité du fait que les logements vides peuvent être utilisés par des personnes qui en ont besoin, de nombreuses perplexités ont émergées, notamment sur les retombées positives de ce type d’hébergement d’urgence.
J’ai été surpris en premier lieu par le fait que plus de la moitié des personnes rencontrées m’a posé des questions sur le caractère palliatif et à court terme de l’habitat intercalaire – Pourquoi il n’y a pas assez de places fixes ? – et sur l’effet du caractère temporaire du lieu sur les personnes accompagnées – Pour une famille, ce ne serait pas mieux une situation moins précaire ? Ces questionnements sur la forme même de l’habitat intercalaire et sur ses objectifs rejoignent les nôtres, en tant que chercheurs engagés sur le projet. Ils ont contribué à nourrir notre discussion en interne et montrent bien que cette nouvelle forme d’urbanisme et d’habitat d’urgence, avec ses aspects positifs et négatifs, pose question même pour les non-professionnels. En deuxième lieu, et de manière plutôt isolée, j’ai pu rencontrer de nombreux préjugés, notamment sur l’accueil des personnes issues de la migration.  « Je vous dis que ça (ne) sert à rien tout ça, je pense que ça (ne) sert à rien. Vous hébergez ces gens (les migrants), vous les accueillez, ils occupent des places, tout payé… Un toit sur la tête ça leur suffit vous voyez, ils ne chercheront pas de travail, ils ne sortiront jamais de leur situation ! (…) Après si c’est temporaire c’est mieux, il y a un temps limite, ils doivent pouvoir se payer un loyer, sinon c’est fini. »
→ retraité, 69 ans, habite le quartier depuis toujours.
Sans rentrer dans les détails, il est intéressant de voir qu’il peut y avoir un lien – comme dans la citation ci-dessus – entre l’habitat intercalaire et les préjugés contre les personnes accueillies.
On pourrait même affirmer que pour la personne interviewée les préjugés servent de base pour comprendre les raisons de l’habitat transitoire : le caractère temporaire du projet est vu par ce retraité comme une méthode pour éviter le risque, selon lui, de l’hébergement d’urgence, c’est-à-dire que les bénéficiaires y restent de manière stable.
Comme pour ce cas, plusieurs personnes ont sous-entendu que le projet était consacré à l’accueil exclusif de personnes d’origine étrangère. Or, il est important de préciser que le public qui compose les résidents de l’Odylus n’est pas uniquement composé par de personnes issues de la migration, mais aussi de personnes vulnérables sur un plan économique, social, psychologique ou sanitaire.
Ce genre de propos rappelle la distance qu’il peut y avoir entre le système étatique qui organise et donne forme à l’hébergement d’urgence et les personnes non-expertes dans ce domaine.
On peut se demander si le travail de sensibilisation ne devrait pas se concerter aussi sur l’explication des modalités d’accès à ce type de logement et de leur coût réel pour la société. Par exemple, on pourrait communiquer avec des données qui décrivent le profil des personnes accueillies, la durée de leur séjour, et parler davantage des actions de médiation sociale et socio-culturelle qui sont proposées pour réduire la distance entre les personnes accueillies et la société.  Conclusion
 Une première conclusion qu’il est possible de tirer de cette série d’entretiens est que visiblement le terrain n’avait pas été suffisamment préparé.
En effet, bien que le rapport avec le quartier ait été pris en compte en amont par les acteur·rice·s du projet afin de réduire les risques de rejet de la part des habitant·e·s – notamment certains des habitant·e·s que j’ai rencontrés avaient reçu un papier dans leur boite aux lettres les informant que, dans le cadre de la rénovation de l’ancienne clinique, une structure temporaire d’accueil aurait vu le jour – la majeure partie des habitant·e·s rencontrés n’avait jamais entendu parler du projet.
Deuxièmement, le Neudorf est un quartier en changement, et ceci est particulièrement visible dans la perception de ses habitant·e·s. La perception de ces changements urbains s’imbrique au projet de l’Odylus, en apportant de la confusion entre le projet de médiation socio-artistique d’habitat transitoire et le projet immobilier de transformation de l’ex-clinique.
Dans l’idée que l’expérience sur le terrain de l’Odylus puisse servir pour des projets similaires dans le futur, en suivant une approche de recherche-action circulaire, on peut constater qu’une meilleure communication en début de projet aurait probablement favorisé le lien avec les habitant·e·s du quartier. Et ceci, plutôt pour leur participation et leur engagement dans le projet, car aucune tension sociale entre résidant·e·s et habitant·e·s n’est à noter dans le quartier.
Plus particulièrement, les points de contact entre le quartier et les résidents de la clinique ont eu lieu grâce à des mises en relations par le biais d’associations d’habitant·e·s. Ceci montre d’un côté l’importance de passer par les structures associatives pour informer le quartier des projets d’habitat circulaire, mais de l’autre met en évidence les limites liées à une sensibilisation insuffisante au niveau direct des habitant·e·s.
Si les structures associatives représentent un bon moyen de sensibiliser et informer sur les projets d’habitat participatif, il serait donc envisageable de recourir aussi à d’autres moyens d’information. Une idée serait celle de créer des points d’information structurés et fréquents dans le quartier, qui seraient en lien avec les associations déjà présentes dans le quartier, les financeur·se·s et les associations porteuses du projet.  ↙